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Syrie: Moscou a lancé ses avions, mais pour frapper qui?
Publié le: 01-10-2015
Mercredi 30 septembre, les frappes des aviations russe et syrienne ont touché les proEn lançant les premiers raids aériens russes en Syrie, ce mercredi 30 septembre, Vladimir Poutine entend replacer Bachar el-Assad au centre de la résolution de la crise syrienne. Une recomposition des alliances qui se joue au grand dam des Britanniques, des Américains et des Français, qui réclament des gages sur le fait que les cibles sont bien des jihadistes et non d'autres opposants. Ils ont réaffirmé leur opposition à une solution politique incluant le président syrien, qualifié de « bourreau » par Laurent Fabius.vinces de Hama, Homs et Lattaquié. Selon Moscou, les cibles visées étaient des positions du groupe Etat islamique. Le Kremlin affirme que ses avions ont procédé à des « frappes de précision », détruisant notamment des « équipements militaires », des moyens de communication et des « stocks d'armes et de munitions » du groupe EI. Vladimir Poutine a aussitôt justifié ces frappes, lors d’une intervention télévisée, par la nécessité de « prendre de vitesse » les jihadistes en les frappant « sans attendre qu'ils arrivent chez nous ».
Le président russe a également affirmé que cette intervention était conforme au droit international, rapporte la correspondante de RFI à Moscou, Muriel Pomponne. Car, si la Russie n’a pas obtenu une résolution des Nations unies, Moscou s’appuie sur une demande officielle d’aide émise par la présidence syrienne. « Nos partenaires agissant en Syrie n’ont ni l’un, ni l’autre », a souligné Vladimir Poutine, fustigeant une fois de plus la position des Occidentaux, qu’il accuse d’avoir aggravé la situation. « Le conflit en Syrie a des racines profondes, son origine vient de plusieurs facteurs, qui ont été aggravés par l'ingérence sans gêne de l'étranger dans les affaires de la région », a accusé le président russe.
La Russie « n'a pas frappé Daech », selon la France
Quelques heures après l’annonce des frappes menées par la Russie, le chef de la diplomatie britannique, présent à l’ONU, s’est montré prudent. Philip Hammond a réclamé une confirmation sur les cibles touchées : « Nous avons dit clairement que nous aurions de sérieuses inquiétudes si la Russie devait frapper des zones où il n'y a pas d'opérations de l'EI et de (groupes) affiliés à al-Qaïda », a pour sa part prévenu le secrétaire d’Etat américain, John Kerry. Le Pentagone estime que l’aviation russe « vraisemblablement ciblé l’opposition à Bachar el-Assad, et non les terroristes de l’Etat islamique ». « Les informations sont en cours de vérification », dit-on au ministère de la Défense, rapporte notre correspondante à Washington, Anne-Marie Capomaccio.
Même tonalité chez les Français. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense réfute les informations russes affirmant avoir frappé des zones sous contrôle de l'EI : « Comme vous le savez désormais, les forces russes ont frappé en Syrie. Curieusement, ils n'ont pas frappé sur Daech. Je vous laisserai en tirer un certain nombre de conclusions. » Comprendre : ces frappes russes n’ont pas ciblé le groupe Etat islamique, mais les combattants de l’Armée syrienne libre, groupe rebelle modéré opposé à Bachar el-Assad.
Pour les Français comme pour les Américains, la stratégie russe est désormais claire : alors que leurs propres forces bombardent les jihadistes, la Russie compte non pas éradiquer les terroristes mais la rébellion modérée.
Une réunion en urgence
Le secrétaire d'Etat américain John Kerry et son homologue russe Serguei Lavrov se sont vus mercredi 30 septembre aux Nations Unies et tous deux ont convenu de l'urgence absolue d'une rencontre rapide entre leurs responsables militaires. Les armées des deux pays opèrent sur le même terrain, elles bombardent toutes deux la Syrie et les deux puissances veulent éviter tout incident entre leurs aviations respectives. Le chapitre politique a également été abordé lors de la rencontre entre les deux hommes : « Nous voulons tous une Syrie démocratique et unie mais nous avons des désaccords sur la manière d'y parvenir. » a déclaré Serguei Lavrov. John Kerry lui a, à nouveau, souligné ses doutes sur les cibles visées par l'aviation russe. Les Américains craignent que Moscou cherche avant tout à protéger l'armée syrienne au lieu de lutter directement contre l'Etat islamique, mais sur le plan politique, il a fait état d'une avancée. « Nous pensons avoir franchi une étape qui pourrait nous aider à aller dans la bonne direction » a déclaré le secrétaire d'Etat américain.
Moscou à la manoeuvre
L'offensive russe s'est portée à la fois sur le plan diplomatique et militaire. Et elle n'a cessé de monter en puissance depuis le début de l'Assemblée générale des Nations unies. Avec le discours du président Vladimir Poutine à la tribune tout d'abord. Il s'est posé comme un acteur incontournable du règlement du conflit et a présenté le régime syrien comme la seule alternative fiable à la terreur du groupe Etat Islamique. Les Russes ont aussi lancé toutes sortes d'initiatives, création d'un groupe de contact, ou projet de résolution devant le Conseil de sécurité. Et puis sur le plan militaire : Moscou a tout d'abord déployé un important dispositif dans le fief de Bachar Al Assad. Cela a suscité inquiétudes et interrogations dans le camp occidental. Avec leurs frappes en Syrie, enfin, les Russes ont pris de court les Américains et les contraignent maintenant à dialoguer directement avec eux sur l'avenir du pays. Vladimir Poutine qui était au ban de la communauté internationale depuis l'annexion de la Crimée et la guerre dans l'est de l'Ukraine il y a deux ans, est bel et bien de retour sur le devant de la scène
Un projet de résolution incluant l'armée fidèle au régime
Moscou doit d’ailleurs présenter dans les heures qui viennent un projet de résolution en ce sens devant le Conseil de sécurité des Nations unies. S'exprimant devant ledit Conseil de sécurité, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a jugé « indispensable de mettre au point une coordination de toutes les forces qui combattent les terroristes ». Il a par ailleurs réaffirmé que la Russie a « informé les autorités des Etats-Unis et d'autres Etats membres de la coalition formée par les Américains ».
Le ministre russe des Affaires étrangères a également détaillé les contours de cette coalition que Moscou entend voir naître contre le groupe Etat islamique. « Les forces armées syriennes, irakiennes, les milices kurdes, et les détachements armés de l'opposition syrienne patriotique, en un mot, tous ceux qui, sur cette terre, combattent l’organisation Etat islamique », a-t-il décrit. « Cela concerne aussi les acteurs extérieurs qui, d’une manière ou d’une autre, soutiennent les actions antiterroristes dans la région. Il est important qu’une telle coordination soit fondée sur les décisions du Conseil de sécurité en adéquation avec la Charte de l'ONU. » Sergueï Lavrov a également assuré que les bombardements de l’aviation russe menée ce mercredi matin en Syrie ne visaient que des bases du groupe Etat islamique.
Pour Fabius, Bachar el-Assad « n'est pas l'avenir » de la Syrie
Sur ce dossier, la France tente de contrer la stratégie de la Russie de remettre Bachar el-Assad au centre du jeu, aussi bien sur le plan diplomatique que judiciaire, avec l’ouverture d’une enquête pour « crimes de guerre » à Paris à l’encontre de Bachar el-Assad. A la sortie du Conseil de sécurité, Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, s'est cependant dit ouvert à une coopération avec les Russes. Mais sous conditions. « La première condition, c’est que les frappes soient dirigées contre Daech et contre les groupes terroristes seulement. Et il faudra vérifier si les frappes russes intervenues aujourd’hui respectent ou non cette première condition », a posé le ministre français mercredi.
Deuxième condition posée par Laurent Fabius : « Il faut mettre fin aux bombardements de populations civiles avec des barils d’explosifs qui sont lâchés depuis des hélicoptères ». Il a également plaidé pour « traiter la crise à la racine » : « Il faut une transition de nature politique qui dise clairement au peuple syrien que son bourreau, c'est-à-dire Bachar el-Assad, n’est pas son avenir ». Une ligne « ni-Assad, ni-jihad », réaffirmé également par le secrétaire d'Etat américain John Kerry : « Nous ne mélangerons pas notre combat contre l'EI avec le soutien à Assad [...] Les Etats-Unis sont prêts à travailler avec toutes les nations, y compris la Russie, pour résoudre le conflit. Mais Assad ne pourra jamais devenir un dirigeant légitime à l’avenir. »
« Tout est en place pour que la donne change »
Avec les bombardements menés par la Russie mercredi 30 septembre, en coordination avec l’armée syrienne, « tout est en place pour que la donne change », analyse le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU. L’intervention russe est un « changement majeur », selon lui, car le président syrien « a aujourd’hui du soutien, à la face du monde ».
« On se posait la question après l’entretien entre Barack Obama et Vladimir Poutine, lundi aux Nations unies : jusqu’où irait le soutien de Moscou à Bachar el-Assad… Il semblerait qu’ils veuillent aller très loin, alors que le reste de la coalition veut aller vers une porte de sortie pour Bachar el-Assad », estime le militaire français. Et pour le général Dominique Trinquand, ces bombardements russes entrent dans la stratégie globale déployée par la Russie ces dernières semaines.
Les étapes de cette stratégie ? « Déployer ses pièces sur le terrain, ensuite faire un discours auprès de l’Assemblée générale des Nations unies, obtenir une demande de la Syrie, qui légitimait son action, ensuite faire des actions sur le terrain, puis proposer une résolution. Là, la boucle est bouclée aussi bien sur le plan diplomatique que tactique », expose le général français.
Un axe « russo-chiite » se dessine
Une analyse partagée par Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’institut Thomas More. Pour lui, l’objectif immédiat de la Russie est « d’empêcher la chute du régime de Bachar el-Assad et de consolider leur position en Syrie, avec un certain nombre d’actifs géostratégiques ».
Au-delà de cet objectif à court terme, Moscou cherche, selon le chercheur, à « reconstituer un système d’alliances » au Proche et au Moyen-Orient. « Ce qui est particulièrement important, c’est la mise en place d’un front russo-chiite. Ces dernières années on parlait d’un axe chiite - Téhéran, Damas, le Hezbollah -, et là, ce que l’on voit se mettre en place, c’est une cellule de coordination entre la Russie, la Syrie, l’Iran l’Irak, et derrière, le Hezbollah. C’est ça le fait le plus important », souligne Jean-Sylvestre Mongrenier.
RFI