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Côte d’Ivoire – Fin et conclusion du débat sur la décision du Conseil Constitutionnel
Publié le: 15-09-2015
Fin et conclusion d’un débat: Commentaire rapide de la décision du Conseil Constitutionnel du 09/09/2015
Toute la Communauté Nationale attendait la publication de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle de 2015, au regard de l’éligibilité controversée du Président Alassane Ouattara, à sa propre succession. L’opinion s’attendait à une décision d’espèce, or, le Conseil Constitutionnel a rendu un Arrêt de principe, donc une décision très technique, qui suppose, pour l’analyser et évaluer sa portée, un prérequis (connaissance approfondie du droit, de la jurisprudence, et de la doctrine juridique). C’est à ce délicat exercice, que nous allons tenter de nous livrer, pour la rendre plus intelligible et plus accessible au plus grand nombre. L’objectif est triple, expliquer la décision (éclairer son sens, dissiper les malentendus ou les méprises en les confrontant aux éléments spécifiques de la décision), engager une réflexion critique en vue d’apprécier sa valeur et sa portée (discussion doctrinale, conséquences sociales, politiques, et juridiques), réconcilier les Ivoiriens avec leur Constitution en l’état (respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution, donc de la souveraineté du peuple, autorité, indépendance, légitimité, crédibilité de l’Institution Judiciaire), avant sa très probable modification, puisqu’il existe un consensus, maint fois affirmé, en faveur de cette perspective. Le terrain sur lequel se développe la controverse dans l’opinion publique, est politique et partisan, alors que le commentaire doit rester essentiellement juridique, si l’on recherche l’objectivité dans l’analyse.
La double question de fonds, posée aux juges du Conseil Constitutionnel, à l’occasion de l’élection d’Octobre 2015, était de savoir, si la candidature du Président Alassane Ouattara à sa propre succession, était d’une part recevable, et d’autre part, si l’intéressé remplissait pleinement les conditions de l’article 35 en son entier. Subsidiairement, quand bien même il les remplirait, pouvait-il être déclaré éligible, au regard de l’autorité de l’Arrêt Tia Koné de 2000, qui revêt le caractère définitif de la chose jugée.
Le traitement du cas Alassane Ouattara s’inscrit, dans une longue évolution jurisprudentielle en dent de scie, qui n’a pas permis de dégager une solution définitive et consensuelle, après 15 années de débats juridiques et politiques. C’est dans ce contexte fortement polémique, qu’une requête aux fins d’inéligibilité de l’intéressé, a été introduite par le candidat Essy Amara, au motif que « celui-ci n’avait été autorisé à se présenter qu’à titre exceptionnel, et uniquement à l’élection présidentielle de sortie de crise », en vertu d’un Décret Présidentiel pris sur le fondement de l’Article 48 de la Constitution. Ladite consultation s’étant finalement déroulée en Octobre 2010, « l’occasion unique de candidature qui lui avait été ainsi offerte, avait été consommée par sa participation effective à ce scrutin et que, dès lors, l’Arrêt N°001-2000 du 06 Octobre 2000 de la Chambre Constitutionnelle de la Cour Suprême qui l’avait déclaré inéligible, retrouvait son plein et entier effet par l’autorité de la chose jugée, et qu’ainsi il était inéligible au sens de l’article 35 de la Constitution »
Invité à se prononcer sur cette situation juridique, quelle réponse le Conseil Constitutionnel y a–t-elle apporté ? Et par quel moyen de droit, y est-elle parvenue ? On observera d’entée, l’attitude de celui-ci, consistant de prime abord, à s’appuyer sur la jurisprudence développée antérieurement (2010) pour l’intégrer dans le corps de sa décision ; ensuite, à limiter le rôle du juge Constitutionnel en matière électorale, à l’exercice du contrôle de régularité des candidatures provisoires, de l’examen des recours formés dans ce cadre, du contrôle d’exactitude et de sincérité de l’élection, du traitement du contentieux issu de cette phase ; enfin, à énoncer des principes généraux de droit. Cette attitude comporte trois novations : une modération des initiatives, l’articulation des décisions dans un processus continu, la résolution des problèmes de droit à lui posé, sans se préoccuper de vérifier si le droit a bien été appliqué antérieurement. En conclusion, il tranche lui-même très peu les questions de fait ou d’espèce. Pour ce faire, il suit davantage un raisonnement juridique qui le conduit à émettre des principes nouveaux, permettant de solutionner les litiges et les questions de droit qui se posent à lui.
1 – Sur la recevabilité de la candidature du Président Alassane Ouattara
Il affirme le principe de droit, selon lequel le rejet d’une candidature n’est pas privative du droit d’éligibilité.
Nous avions déjà discuter ce principe, dans un article précédent, intitulé « la monumentale erreur de l’opposition sur la prétendue inéligibilité du Président Ouattara ». Ce principe « contredit l’idée d’une irrecevabilité acquise, sur la base d’une jurisprudence figée. Il n’existe aucune interdiction posée par la loi, prévoyant qu’une candidature récusée, ne puisse être renouvelée à l’occasion, d’une autre échéance électorale…, dès lors que le candidat en question, n’est pas privé du droit à l’accès au juge électoral, dans le cadre d’un nouvel acte, posé à l’intérieur d’une nouvelle procédure de candidature. Celui-ci ne constitue pas une remise en cause d’une décision définitive, mais ouvre au juge, une nouvelle opportunité d’appréciation, sur des éléments de fait … L’inéligibilité résultant d’une cause légale, s’analyse toujours, comme une incapacité temporaire à un mandat électif, et non comme l’extinction du droit d’éligibilité, car elle est toujours liée à des critères évolutifs et des situations circonstancielles (âge, résidence, nationalité, appréciation des pièces justificatives, qualité d’électeur). Cette décision ne prononce, ni une déchéance du droit d’éligibilité, comme le ferait une condamnation, ou une interdiction, ni une impossibilité définitive comme le ferait une présomption légale. Comment peut-elle, dans de telles conditions, faire obstacle à une nouvelle candidature ? »
2 – Sur le fond quant à la validation de la candidature de l’intéressé
Le Conseil Constitutionnel à énoncer 4 grands principes , pour trancher plusieurs questions de droit :
d) L’autorité de la chose jugée, ne lie pas le juge, qui est le seul à dire le droit (principe d’indépendance). Dès lors, toute Juridiction, peut modifier son appréciation initiale, en fonction de divers paramètres (idées, lois, situations, elles-mêmes évolutives), et c’est précisément ce qui s’est produit en 2010. Il s’évince de ce principe, que toute jurisprudence est évolutive par nature, et ceci est un fait constant, observé dans toutes les juridictions nationales et internationales.
Nous avions dit dans l’article précité que « L’argument tiré de la jurisprudence invoquée, ne saurait également prospérer. … D’ailleurs aucune règle de droit, ne s’oppose à ce qu’un juge rende une décision, contraire à un principe formulé par une juridiction donnée, ou son interprétation des faits, et rien ne permet à priori, de penser qu’une appréciation plus pertinente ou une analyse différente, ne puisse être finalement trouvée par une même Cour… »
d) Le principe de subsidiarité dans le domaine de la protection judiciaire, doit être la règle
En appliquant ce principe, il a estimé, qu’une nouvelle solution au cas Alassane Ouattara, n’était nécessaire que si une autre solution juridique, n’avait pu être trouvée antérieurement (2010) pour résoudre la difficulté soulevée. Dès lors, que des dispositifs législatifs et de contrôle, ont été mis en œuvre de manière pertinente, par des échelons inférieurs (juridictions de droit commun ou pouvoirs administratifs) il n’est plus nécessaire de leur substituer d’autres, ou à de leur superposer inutilement de nouveaux. Ce principe se fonde sur « la confiance légitime ». Est elle suffisante ? A t’il un fondement de constitutionalité ?
En effet, son efficacité résulte en ce qu’il permet d’éviter une confusion de compétence, et de se heurter à des questions jurisprudentielles, tandis qu’elle affirme l’unité de l’État. Tous ses démembrement et organes concourent à la réalisation du même objectif de contrôle, et sont de fait solidaires dans ce cette action, éclatée et hiérarchisée, qui conserve néanmoins son unité. Ce concept moderne répond à deux objectifs : rationalité et efficacité. C’est le souci de veiller à ne pas faire au niveau le plus élevé, ce qui peut l’être avec plus d’efficacité à une échelle plus faible, et d’éviter des redondances dans le traitement d’une affaire ou d’un cas, pour atteindre une même finalité.
Ainsi, la question de la nationalité relève de la compétence des juridictions de droit commun. Dès lors qu’elles ont accompli leur mission de vérification, d’enquête, et de contrôle, en délivrant régulièrement un certificat de nationalité à un individu, et qu’elles n’ont été saisies d’aucune contestation à ce sujet par la suite, il n’y a plus lieu de répéter ce travail de vérification. Dès lors, que le juge de l’élection, à lier l’éligibilité à la possession de la qualité d’électeur en 2010, il apparaît que la délivrance de la carte d’électeur, et de l’inscription sur une liste électorale, font l’objet de vérification et de contrôle, qu’il serait superfétatoire de répéter à un échelon plus élevé.
c) Un renversement de jurisprudence éteint celle qui la précède
Dès lors que le juge constitutionnel a renversé la jurisprudence de 2000, en validant en 2010, la candidature du Président Alassane Ouattara au regard des dispositions et exigences de l’Article 35, l’Arrêt d’espèce de 2000 (Arrêt Tia Koné), cesse de produire ses effets. Il est frappé de caducité, au profit de la nouvelle jurisprudence, fermement établie par des motivations justifiées en droit (le respect des conventions et engagements internationaux souscrits par la Côte d’Ivoire, après un contrôle à priori de constitutionalité, le respect de l’égalité des citoyens et des candidats devant la Loi, sans distinction d’origine, tels que consacrés par la provision des articles 13 et 30 Al 2 de la Constitution), qui ne relève d’aucun caractère exceptionnel ou dérogatoire.
Nous avions écrit dans un article daté du 11/02/2015 (Le débat sur l’éligibilité à l’élection présidentielle est inopérant, pernicieux et dépassé) d’une part, que « Cette contradiction l’est d’autant plus encore, que l’alinéa 2 de l’article 30 de la même Constitution, dispose que la République « assure à tous, l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine …». Le second conflit apparaît à partir de l’article 48 du Code électoral qui pose, que « tout Ivoirien qui a la qualité d’électeur peut être élu Président de la République… », que d’autre part « Cette jurisprudence élimine de fait, toute discrimination dans l’éligibilité aux élections présidentielle futures, et démontre l’extrême politisation du système et de la population. Était-ce réellement l’intention cachée du Conseil Constitutionnel ? On est autorisé à le penser, au vu de ses motivations… il en résulte, que ladite décision ne revêt aucun caractère exceptionnel. Celle-ci étant manifestement prononcée sur la base des conditions générales de contrôle d’éligibilité, « normales » et communes à tous les candidats, il convient de la considérer également et pleinement, comme une jurisprudence… Aurait-il voulu juger implicitement la décision présidentielle évoquée, comme étant nulle, et de nul effet (…), qu’il ne saurait mieux s’y prendre… ».
Mieux le Conseil Constitutionnel nous fait découvrir d’autres décisions par lesquelles, il s’est obstinément refusé en 2010, à appliquer la Décision Présidentielle N°2005-01/PR du 5 mai 2005, pris sur le fondement de l’article 48, autorisant la participation, à titre exceptionnel, des candidats signataires de l’accord politique de Linas-Marcoussis, à l’élection présidentielle d’octobre 2005 (finalement en 2010), même s’ils ne remplissaient pas pleinement les exigences de l’Article 35 de la Constitution. Il s’en suit que ledit Décret n’a jamais été appliqué. En conséquence, il n’a pas pu produire d’effet sur la décision ayant prononcé l’éligibilité du Président Alassane Ouattara en 2010, pour autoriser à le considérer aujourd’hui, comme ayant bénéficié d’une mesure dérogatoire, n’ayant pas permis un contrôle de régularité et de conformité, au regard des exigences de l’article 35. « Dès lors, la Décision Présidentielle N°2005-01/PR du 05 Mai 2005 n’ayant pas constitué le support de sa qualification en 2010, ne saurait constituer le fondement de sa disqualification en 2015 ».
Cette décision a désormais l’autorité de la chose jugée, et ne saurait être remise en cause. Dès lors, suivant le principe de subsidiarité dans le domaine de la protection judiciaire, il s’avère inutile à l’occasion de sa rééligibilité à la même fonction, de procéder au même examen, en dehors de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé, ou des condamnations éventuelles ayant pu affecté son mandat. Ceci en raison d’un quatrième principe, l’éligibilité dérivée, sur lequel nous reviendrons.
La nouvelle jurisprudence du Conseil Constitutionnel, en liant l’éligibilité à la possession de la qualité d’électeur en 2010, élimine « désormais du contrôle de l’éligibilité des notions confligènes telles que celles d’être ivoirien « d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine », ou de « ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité », en attendant les modifications constitutionnelles prévues par l’Accord de Linas-Marcoussis »
Celle-ci n’est pas sans poser débat, en raison de ses motifs et de sa formulation. Le juge constitutionnel peut-il juger et censurer une disposition constitutionnelle exprimant la volonté souveraine du peuple, parce qu’elle est, ou la juge, de nature discriminatoire et confligène ? De la même manière, peut-il l’ignorer, au motif de l’existence d’un accord politique prévoyant sa modification, qui reste une éventualité, et non élément de droit ? Certainement pas. Il ne peut de lui-même se soustraire à son obligation d’appliquer la Loi, telle qu’elle est en l’état, et non telle qu’on aurait souhaité ou projette qu’elle soit. Il ne peut pas prendre en considération des éléments politiques pour former sa décision, alors qu’il est censé dire le droit. Son pouvoir d’appréciation, lui donne uniquement compétence à se prononcer sur la conformité de la situation des candidats soumis à son examen, avec la Constitution. Celle-ci étant adoptée par le peuple à la suite d’un référendum, elle constitue l’expression directe de la souveraineté nationale. Il n’est pas placé au dessus de celle-ci, et n’a pas pouvoir de s’en désolidariser, en faisant prévaloir sa propre opinion ou son propre jugement, sur la volonté du peuple souverain.
En revanche, cette position ne s’analyse pas comme un déni de justice, ou une mise sous éteignoir de la Constitution, car il propose bien une solution à une difficulté de droit, que pose l’application de cette dernière. Peu importe à ce stade la qualité, satisfaisante ou défectueuse, de celle-ci. Nous ne pouvons qu’évaluer cette décision, par rapport à la portée qu’elle a sur le rôle du juge constitutionnel, en matière électorale. En revanche, peut-il aussi s’instituer en Cour d’Appel pour censurer ou confirmer les décisions antérieures, mettant ainsi en péril la sécurité judiciaire, en opérant à chaque élection, un brusque renversement d’appréciation, au motif de se prononcer sur les fondements qui ont inspirés celles-ci?
En confirmant cette orientation jurisprudentielle, le Conseil Constitutionnel a consacré, de manière évidente, l’intérêt de préserver les acquis, en matière d’égalité des candidats devant la Loi, comme une sorte de garantie des droits et libertés publiques, plutôt que de traduire fidèlement l’intention des constituants, au motif que celle-ci s’inscrit dans la direction de l’évolution de la société sur cette question (démocratie continue du suffrage universel, accords politiques largement consensuels). Subsidiairement, pour des raisons relevant du droit positif, en raison d’une part, d’un conflit interne du texte, entre les articles 13, 30, et 35. Ces article ont une force égale, qu’il ne peut hiérarchiser de lui-même, sans tomber dans l’arbitraire (influence politique, conviction personnelle, sélectivité subjective), et d’autre part, de l’existence d’un autre conflit, entre la règle interne et la règle externe, en l’occurrence, entre l’article 35 et les conventions internationales (traités et accords) auxquelles la Côte d’Ivoire a souverainement adhéré. Ceux-ci ont été régulièrement ratifiés, après un contrôle à priori de constitutionalité, et ont été approuvés par la représentation nationale, qui exprime la volonté indirecte du peuple souverain. C’est deux attributs de souveraineté qui s’affrontent. Or, la supériorité de la norme externe, est la règle, en matière de droit international public.
Ainsi, si cette position est parfaitement justifiée dans le fond, elle ne l’est pas suffisamment dans la forme des arguments développés, car la décision quant à elle, ne peut être justifiée qu’en droit, ce qui n’est que partiellement le cas. Le juge a l’obligation de dire le droit, même dans le silence ou l’obscurité de la Loi. En proposant une solution de substitution ou palliative, à une application stricto sensu du texte constitutionnel, relevant de l’impossibilité irréductible et insurmontable, d’appliquer certaines de ses dispositions en l’état, notamment en ce qui concerne les questions de nationalité, alors que celle-ci n’existe juridiquement, qu’à compter de 1960 pour la Côte d’Ivoire, le juge aurait du motiver au principal, sa décision par cette situation qui s’impose indistinctement à lui, plutôt que de la justifier par un choix philosophique de sa part, de privilégier certains éléments du droit positif, au détriment de l’application intégrale des dispositions de l’article 35, lesquelles sont à l’évidence, impossibles à appliquer en l’état, sans l’expliquer de la sorte.
Ne pas pouvoir appliquer une disposition pour les raisons objectives précitées, ne signifie aucunement la fouler au pied ou la méconnaître volontairement, contrairement a une idée largement répandue dans l’opinion publique , qui procède d’une appréciation erronée de la réalité, en encore d’une propagande mal intentionnée. Ce refus ou cette abstention, ou encore cette inobservation, se fonde sur des raisons de principes, de droit, mais aussi, et surtout, sur un constat pratique de la réalité historique. Nous avions déjà dit à travers 2 articles successifs sur la question, que « Le Professeur Wodié (Ancien Président du Conseil Constitutionnel) et au tard, M. Tia Koné (Ancien Président de la Cour Suprême) ont tous deux reconnu l’impossibilité d’établir par un acte juridique, la possession de la nationalité Ivoirienne, avant l’existence même de l’Etat Ivoirien… »
d) – L’éligibilité d’un Président sortant, candidat à sa propre succession, s’analyse comme une éligibilité dérivée, qui se décline en droit en une rééligibilité.
Introuvable, de manière explicite, dans le texte constitutionnel, ce principe relève de la volonté du juge d’interpréter le sens de l’alinéa 1, de l’Article 35, en faisant apparaître ce qui est implicite et nécessaire, en tant que préalable, au contrôle qu’il doit exercer. Il « permet de constater qu’il renferme en réalité deux types d’éligibilité s’appliquant à deux catégories de candidats ne se trouvant pas dans la même situation juridique, à savoir, une éligibilité originelle et une éligibilité dérivée ; Considérant que l’éligibilité originelle est celle concernant les candidats n’ayant jamais accédé à la fonction de Président de la République et qui, de ce fait, sont tenus d’apporter la preuve qu’ils remplissent toutes les conditions énumérées par les textes en vigueur ; Considérant que l’éligibilité dérivée est celle qui s’applique au Président de la République sortant qui, à l’occasion du scrutin l’ayant porté au pouvoir, avait déjà fait la preuve de son éligibilité originelle ; Que cette éligibilité dérivée, qui se décline en réalité en terme de « rééligibilité », est prévue par l’article 35 alinéa 1 de la Constitution, lequel dispose que le Président de la République est élu pour cinq ans et rééligible une fois »
Il institue un mécanisme juridique d’automaticité, puisqu’un tel candidat, est réputé avoir satisfait aux exigences de la Loi, antérieurement au même examen auquel il soumis à nouveau devant le même Conseil. Celui-ci peut-il se dédire, dans la mesure où cette reconnaissance est attestée par la décision qui l’a déclaré une première fois éligible à la même fonction ? Dès lors que rien de fondamental n’est susceptible de changer dans cette situation, il convient d’alléger le contrôle, en le limitant aux seuls éléments nouveaux pouvant apparaître (nouvelles prescriptions, condamnations dont il aurait pu faire l’objet au cours de son mandat) ou susceptibles de varier dans la durée (état de santé, limite d’âge). En vertu du principe de subsidiarité, un nouveau examen complet s’avère inutile, dans la mesure où les objectifs du contrôle envisagé, ont été réalisés de manière suffisante et satisfaisante, en amont.
Peut-il être reproché au Conseil Constitutionnel de permettre une avancée dans la compréhension d’un texte, une simplification et une modernisation de la procédure de vérification, ou au contraire d’interpréter trop librement ce texte ? En fixant des limites au contrôle auquel le Président de la République sortant est soumis, dans le cadre de sa rééligibilité, ne lui accorde t-il pas de fait, un statut particulier, qui rompt le principe d’égalité des candidats devant la Loi, en lui aménageant, une sorte « d’immunité constitutionnelle » ? Ces questions de portée et de valeur, sont d’autant plus importantes, que cette interprétation s’incorpore au texte interprété, dès l’échoué de la décision, autant dire, qu’il crée un droit subsidiaire, qui s’insère dans le droit positif en proposant une lecture unifiée de l’article considéré.
La catégorisation qu’il introduit, intègre deux données, la légitimité du suffrage universel obtenue à la circonstance d’un premier mandat, et le résultat d’un premier examen, qui distingue le Président sortant des autres candidats « ordinaires », soumis à l’examen de « l’éligibilité originelle ». Ce principe peut-être pris à défaut, dans le cas d’un candidat malheureux à l’élection précédente, pour qui le contrôle d’éligibilité, aura été également précédé d’un résultat satisfaisant. Dès lors, l’examen de sa nouvelle candidature ne se déroulerait plus dans le cadre « d’une éligibilité originelle ». Ceci s’est produit ailleurs, et le pourrait en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, toujours par dérivation, ce principe pourrait-il s’étendre à toutes les élection autres, que la présidentielle, pour qu’il atteigne pleinement le statut de principe général ? Or le cas, du candidat Adama Ouattara, qui avait été déclaré éligible aux élections législatives de 2011, vient contredire une telle possibilité.
On voit bien qu’il s’agit d’une mesure individuelle, qui ne concerne que le Président de la République sortant. Si elle ne se justifie pas en droit, elle se justifie néanmoins, dans l’esprit des institutions de la République, qui accorde à celui-ci, un statut spécial, au regard de sa légitimité populaire. Alors qu’en serait-il d’un député ou d’un maire, pouvant se prévaloir également de la légitimité du suffrage populaire, à un échelon local, lorsqu’il se représente à sa succession ? Dans une perspective rationnelle, il est impensable de récuser un tel candidat, en l’absence d’évènements nouveaux pouvant le disqualifier. Dès lors, une formalisation plus élargie de ce principe, constituerait une avancée, et modifierait profondément sa perception l’assimilant à un régime de faveur au bénéfice d’un individu (le candidat Alassane Ouattara) ou d’une institution (le Président de la République).
Conclusion : Cet Arrêt constitue une avancée notable, en se sens qu’il dispose pour l’avenir, une attitude et des principes à tenir, pour conduire le rôle d’arbitre électoral, et surtout parce qu’il développe des théories audacieuses, pour permettre une meilleure interprétation du texte constitutionnel. Ce n’est pas un de ses moindres mérite, que d’avoir également démolit une fausse idée (l’éligibilité exceptionnelle de 2010) qui avait eu un grand retentissement dans l’opinion publique. Mentons, mentons toujours, cela laisse des traces dans la mémoire des hommes (machiavel), de telles idées et préjugés sont tenaces, et plus difficile à désagréger que la fissure atomique (Einstein). Au total, le candidat Alassane Ouattara a été déclaré éligible davantage sur la base de l’Arrêt Yao N’dri, que de l’Arrêt Koné Mamadou, qui s’est contenté d’émettre des principes, pour ne pas aller plus loin ou avoir à se prononcer lui-même. Cela à suffit à provoquer l’ire de l’opposition (déclarée ou silencieuse), et d’une partie de l’opinion publique (très minoritaire au regard de l’échec de l’appel à des marches et la désobéissance civile), qui a aussitôt accusé le Conseil Constitutionnel. Si c’était l’inverse, la réaction aurait été la même, ce qui démontre que ces positions relèvent d’avantage du parti pris, que de l’objectivité.
L’argument qui tend à considérer le Conseil constitutionnel comme une institution fortement politisée, s’appuie essentiellement sur les modalités de nomination des membres qui le composent, car ceux-ci sont nommés de façon, discrétionnaire par des autorités politiques individuelles. Aussi, la tentation est grande, d’interpréter ces nominations, comme la manifestation d’une volonté de verrouiller le processus électoral (membres redevables d’une reconnaissance à l’autorité de nomination), ou de lui prêter une filiation partisane. C’est ignorer les critères de compétence et l’intégrité morale de ces hauts magistrats. Il est remarquable que ce argument ne prospère qu’en périodes électorale, alors que le travail constitutionnel est quotidien et dépasse largement le domaine électoral. Les pressions qui s’affrontent sur le terrain politique, se reportent mécaniquement sur l’institution, sans que cela ne soit nécessairement justifié à priori. Seul l’expérience permet de trancher la question. Cependant qui d’autre que la représentation nationale (Assemblée, et Président de la République) est mieux qualifiée (légitimité du suffrage universel) pour les nommer dans une démocratie (préférence du suffrage universel populaire à des accords politiques) ?
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